P O N T I A C tempest

 

 

L e moteur semble habiter la carrosserie. Au ralenti, le V8 émet un halètement sourd qu'une petite pression sur la pédale d'accélérateur, aussi furtive soit-elle,transforme en un hurlement effrayant. Il se plait à imaginer l'accélération des huits pistons à l'intérieur des cylindres, la course effrenée des bielles ... Il ne se lasse pas de voir à quel point le moteur bondit à chaque appel. Le bruit caverneux se transforme à chaque fois en un hurlement, un truc à vous foutre la chair de poule, un truc incorrect et pas uniquement pour le flic qui fait sa moisson de contraventions sur le bord du périférique. Une insulte au bon goût, à la mesure. Et pas seulement ça. Autre chose. Surtout. Une putain de machine à transformer le quotidien ... Une machine à remonter le temps. A 200 kilomètres heure. Une Pontiac GTO de 1966. Pas exactement en accord avec son époque. Pas vraiment. Plutôt décalé. Complètement décalé même, un décalage qui vous donne le vertige, qui noue l'estomac, qui s'insinue sans vergogne lorsque le sommeil ne vient pas, quand la nuit laisse le champ libre aux pires divagations. En attendant le matin. En attendant de construire le quotidien, de rendre les coups, tous les coups si possible. Ca n'est jamais possible. Cette époque ne lui plait pas. Une manière de dire en fait que la manière dont les hommes ont décidé de s'organiser ne lui plait pas. En regardant de près, aucune autre époque ne lui aurait convenu d'avantage. Chacune a son compte de saloperies, d'ententes malignes, de pensées boueuses. Il ne lui reste qu'à construire la sienne. Avec ses héros, ses sons, ses machines. Elle serait hurlante, en certains instants d'euphorie, elle permettrait tous les espoirs, celui de croire en la révolution, de croire être dans le vrai, de balayer les interrogations, de croire qu'il est possible d'exister tel qu'on l'a décidé. Elle serait emportée, définitive. Punk. Prisonnière de son axe, l'aiguille du compte-tour bondit comme une folle. Le moteur arrache la Pontiac au décor, leur décor, leur univers. Le son qui sort du "muffler" lui arrache un cri de joie. Il sait qu'il est con et il rit de sa propre connerie. Il sait qu'Esso, la British Petroleum et Elf réunis se frottent les mains chaque fois qu'il appuie sur la pédale mais ce n'est plus le problème. Il sait qu'il est un anachronisme, il en a pleinement conscience. La Pontiac est devenue effrayante. Il se fout des regards de curiosité, d'envie ou de mépris qu'il croit entrevoir dans les voitures qu'il dépasse. Il vient d'ouvrir une faille, il s'y engouffre. Il sait qu'il lui sera de plus en plus difficile de revenir de ces escapades, qu'il lui sera de plus en plus difficile de leur parler ensuite, de même leur répondre. Il sait aussi que de l'autre côté il y a le mur, la ligne horizontale, les rêves inachevés, la raison et la mesure.

marc

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